
Les réveils tardifs sont souvent brutaux.
Benjamin Haddad
4 March 2025
Les réveils tardifs sont souvent brutaux.
Nous avions pourtant vu les signes avant coureurs: exhortations à dépenser plus pour notre défense, « pivot vers l’Asie », ligne rouge en Syrie, Trump I, retrait unilatéral d’Afghanistan.
Mais nous avons cru que nous avions le temps. Que les turbulences transatlantiques étaient des accidents de parcours ou des parenthèses. Que le monde dans lequel nous avions grandi ne pouvait décemment s’effondrer en un instant, qu’on nous préviendrait un peu avant. Que nous pouvions continuer notre vacance de l’histoire, faisant reposer notre sécurité sur d’autres, ignorant les règles qui avaient régi les relations internationales depuis la nuit des temps.
Et un instant nous fait comprendre que nous avons changé de monde.
Si nous ne voulons pas laisser d’autres écrire notre histoire à notre place, nous devons changer de logiciel. Très vite et très fort. Investir massivement dans la défense et la tech, simplifier nos règles, lever nos tabous, passer en économie de guerre et prendre notre destin européen en main. Les échéances des prochains jours doivent le permettre.
Le premier test est l’Ukraine.
Parce que c’est pour le drapeau européen que meurent les Ukrainiens depuis 2014, parce que la Russie veut abattre l’ordre européen réunifié et démocratique issue de la fin de la Guerre Froide. Parce que l’appétit de puissance de Poutine se portera toujours plus loin vers l’ouest, vers l’Union européenne, parce que nous serons les prochains sur la liste. Parce que nous ne voulons pas vivre dans un monde où l’agression brute remplace le droit.
Rares sont les cas où nos intérêts et nos valeurs se rejoignent de façon si claire.
C’est dans le soutien à l’Ukraine que commence notre Europe géopolitique. Dans l’abandon de l’Ukraine triompheront tous les adversaires de la civilisation européenne, chez nous comme au delà de nos frontières; ils l’ont bien compris.
Ne nous y trompons pas. Il n’y a aucune fatalité. Nous pouvons créer les conditions d’une paix durable, refuser un cessez-le-feu bâclé, mais cela exigera un engagement de long terme des Européens.
Les rapports de force ne sont pas statiques, les dernières décennies sont remplies de guerres asymétriques perdues par les grandes puissances. On les rééquilibre en y mettant des armes, du cash, de la volonté politique, du courage et de l’imagination.
Les défaitistes d’aujourd’hui étaient les défaitistes d’hier. Ceux qui confondent toujours paix et soumission, réalisme et cynisme, qui admirent les hommes forts mais curieusement méprisent les petites nations qui se battent pour leur liberté. Ceux qui citent le dialogue de Mélos en rappelant que « les forts exercent leur pouvoir et les faibles doivent leur céder », mais oublient que c’est Athènes qui a perdu la guerre. Qui croient qu’un nouveau Yalta sur notre continent amènera la paix, alors qu’il ne sera qu’une capitulation à une puissance révisionniste agressive qui l’utilisera pour réarmer et préparer la suivante, qui oublient que le premier Yalta a enfermé des centaines de millions d’âmes derrières le rideau de fer.
Nous savons que nous vivons un tournant historique, mais pas encore si ce sera l’Etrange Défaite ou Their Finest Hour. Cela dépend de nous.